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Ernakulam, une autre facette de l’Inde 

Quelle est la population d’Ernakulam? Un million et demi d’habitants? Plus? On ne réussit plus à les compter. Il nous semble que tous les Indiens vivent dans cette ville grouillante, bruyante, poussiéreuse, négligée et puante. Traverser la rue est du domaine du haut risque et marcher sur les trottoirs sans culbuter dans des déchets ou tomber dans un trou demande quatre yeux ou plus.

Après quelques semaines d’acrobaties, de raffinement dans l’art d’éviter les autos et les tuk-tuks, on s’habitue, on prend même goût. On connaît les commerces et les commerçants, les restaurants, l’emplacement des rues principales qu’on identifie par un magasin (celui qui vend des pâtes italiennes par exemple), un temple, une église, un marché public… On prend régulièrement un tuk-tuk. On ne demande plus le prix de la course, car le chauffeur a tendance à exagérer avec les touristes. On paie le prix qu’on sait juste. Et le chauffeur est content.

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Quand on retourne au bateau à partir du joli-de-loin-ex-quai–neuf-de-deux-ans-qui-tombe-en-ruines pour traversiers et qui n’a jamais servi parce qu’on n’avait pas remarqué la trop faible profondeur d’eau pour de telles embarcations, on retombe dans le silence et la quiétude. Vue d’Alero, la ville semble belle, attrayante. On est mouillé au milieu du Back-Water, espèce de rivière qui, à quelques kilomètres de la mer et quasi parallèle, forme de larges canaux sur une centaine de kilomètres. La marée y entre et en sort deux fois par jour. Il s’y fait beaucoup de transport maritime et du tourisme fluvial dans des barques traditionnelles qui n’ont de traditionnel que leur jolie forme. Elles sont maintenant poussées par de puissants moteurs, sont divisées en chambre et balcon, avec parfois même la climatisation.

On est très bien ici. Sur l’eau, il ne fait pas trop chaud. Les moustiques du coin sortent tôt en après-midi et, à part ceux qui réussissent à s’infiltrer pour passer la nuit avec nous, ils ont généralement assez de civisme pour se retirer après une heure de visite, ce qui nous permet de profiter du cockpit à la tombée du jour. Sur bâbord, un îlot avec un hôtel de luxe, piscine et bar. On profite plus du bar que de la piscine, car on n’aime pas s’exposer au soleil. On prend soin de notre corps, voyez-vous. Sur la rive droite, un mur d’édifices à logements pour militaires et policiers, d’édifices à bureaux, de banques et autres commerces étouffe les bruits de la ville grouillante, tout juste de l’autre côté. Beaucoup de verdure pour embellir tout ça. L’eau brunâtre ne sent pas toujours le parfum des fleurs, mais bon…

Toutes ces raisons et le fait que les ports de la côte sont distants les uns des autres font qu’on a tendance à y rester un bon moment. Faut dire que le joli Cochin,  la vieille ville tranquille et aérée à laquelle on a rapidement accès par traversier, nous attire régulièrement dans ses rues et ses restos. De plus, Ernakulam est un endroit sécuritaire pour laisser le bateau et partir explorer le sud de l’Inde, ce que nous ferons pendant 12 jours. Une équipe de télévision vient nous interviewer. Les tourdumondistes qui s’arrêtent à Cochin ne sont pas encore légion.

Une régate pas comme les autres 

Cochin, c’est aussi la base navale principale de l’Inde. Un après-midi, on reçoit la visite du lieutenant Paniker. Il nous invite à participer à la régate internationale de l’Inde qui fait les Laquedives et retour. Les Laquedives constituent un archipel à plus ou moins 250 milles des côtes, appartenant à l’Inde, peu connu parce que son accès est restreint pour les visiteurs étrangers. Les îles faisaient autrefois partie des Maldives, plus au sud. On voulait aller aux Laquedives, mais la permission de s’y rendre requérait de nombreuses démarches. On nous facilitait la chose par cette participation. Six voiliers (Mistral, Chassamba, Reckless, Mailis, Adverse Condition et Alero) se montrent d’abord intéressés, mais plus personne ne veut participer quand on nous annonce que le coût sera de 500 $ par bateau. On baisse alors rapidement à 250 $, puis à 125 $. Finalement, la veille du  départ, Alero demeure le seul inscrit parmi les bateaux étrangers, ce qui permettra à la course de conserver le titre pompeux de « régate internationale ».

On est la veille du départ. On vient nous chercher et on nous amène en Ambassador, la limousine indienne, avec chauffeur en livrée,  à une réunion préparatoire. Tous les équipages y sont. Tous des jeunes de moins de 30 ans. On se sent un peu parents ou grands-parents dans cette mêlée. La chose est très officielle : quatre intervenants nous entretiennent sur la ligne de départ et celle d’arrivée, les stratégies possibles, la météo, les dangers de la course, les communications, les voies de cargos. Pour la circonstance, Alero s’appellera Juliet 8. Puis, on nous distribue casquettes, chandails imprimés et autocollants de circonstance.

C’est le grand jour. Surprise! On vient nous apporter des plats préparés pour les trois jours à venir. Trente minutes avant celui de la réputée course autour du monde Volvo, qui s’est arrêtée en Inde pour la première fois, nous traversons la ligne de départ, observés par une foule venue pour l’autre événement. Nous partons à voile-moteur par manque de vent afin de dégager la place pour les bolides de la Volvo. Nous sommes huit bateaux dont six de la marine militaire indienne, des « J boats » performants.

On est encore dans le canal de sortie que le moteur surchauffe. On dégage prestement le chenal. Inspection : l’entrée d’eau de mer est obstruée par ces fameuses herbes qui envahissent les back waters. On demande par radio si on doit  demeurer sur place pour ne pas nuire au départ de la course Volvo. On nous dit de continuer. On sera finalement en mer avant les magnifiques coursiers qui prendront la direction du sud alors que nous poursuivons plein ouest. Tout va bien avec un bon vent favorable.

Nous sommes au deuxième jour quand un avion militaire nous survole et nous annonce que le point de chute a changé. On ne va plus à Kavaratti, mais bien à Kadmat. « On ne trouve pas cette île sur notre carte. » – « On va aller vous en porter une. » (????) Quarante minutes plus tard, une frégate, Bangaram, nous rejoint. Au quatrième essai, un câblot à pomme de touline atterrit sur Alero. Une carte y est attachée. Le nouveau point de chute existe bien sur notre carte, mais il porte un nom différent, tout simplement. On est à lire la nouvelle carte et les instructions qui y sont attachées qu’on nous annonce par radio que la ligne d’arrivée n’est plus celle qui y est dessinée… Exercice de marine? Avec le soleil qui se couche, le vent tombe. On décide de rompre avec le règlement qui restreint la consommation de diesel à dix litres et on part le moteur. On longe l’île Androti, interdite à tout visiteur parce que peuplée par 10 000 lépreux indiens, semble-t-il.

À 11 h 30, le troisième jour, on passera la ligne d’arrivée. On est le sixième bateau. L’un ayant démâté et l’autre s’étant perdu, nous sommes bons derniers. On s’y attendait bien. Un malentendu, un autre, fait qu’on passera la nuit exposés aux vents qui se sont levés, à proximité de récifs. Une nuit blanche en pleine noirceur.

Au quatrième jour, on entre dans le lagon de Kadmat. Il n’y a qu’un étroit passage avec moins de deux mètres de profondeur. On suit de quelques mètres un bateau local venu nous guider. On touche le fond. On nous indique notre ancrage à quelque 500 m du bord. Nous sommes au beau milieu d’un immense lagon vert, entre une ligne infinie de cocotiers et une ligne de récifs à fleur d’eau sur lesquels viennent se briser les vagues extérieures. Magnifique! De toute beauté!

QcYacht_Mars04Avant de participer à la course, nous y avions mis deux conditions. D’abord, on ne ferait qu’un sens de la course, soit pour aller seulement. Ensuite, on devait nous accorder la permission de rester 10 jours à l’île d’arrivée. Ce qui nous fut accordé sans problème. Alors que les autres participants faisaient la deuxième étape le lendemain, nous avions ce magnifique bassin pour nous tout seuls. Le lagon, comme l’île, fait 10 km. Nous avons fait l’île de long en large : rues de sable, quelques autos, un seul minibus, cocotiers partout, maisons et maisonnettes propres, gens souriants, accueillants. Nous nous sommes liés d’amitié avec Ali. Tous les jours, il venait au bateau nous apporter cocos, poisson, hameçons. Nous discutions de tout et de rien, de son île qu’il adore. Puis, il nous a présenté sa femme et ses cinq enfants, nous a guidés dans les deux écoles et à l’usine de cocos que nous avons visitée. Nous avons observé les pêcheurs lancer leurs filets, nous avons échangé avec les habitants, été invités à prendre le thé ici, à manger là… Nous avons fait la lecture à l’ombre des grands arbres, nous avons agréablement flâné jour après jour. Et nous avons célébré Noël à deux, les 6000 habitants de l’île étant musulmans.

QcYacht_Mars05Quand, après dix jours de farniente, nous sommes sortis de notre lagon, des milliers de thons nous ont salués en sautant hors de l’eau. Nous nous sommes alors dirigés vers Cochin pour pouvoir y célébrer la nouvelle année en compagnie des navigateurs qui y mouillaient déjà avant notre départ.

 

 

Sécurité, sécurité, sécurité…

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Les grands caps favorisent le rassemblement des cargos. Tous ceux qui vont en Chine et en reviennent passent au sud du Sri Lanka et la majorité d’entre eux pointent vers le golfe d’Aden et la mer Rouge pour se rendre en Europe, s’ils ne décident pas de contourner le sud de l’Afrique pour atteindre les Amériques. La plupart des cartes océanographiques dessinent le parcours théorique de ces cargos. La vigilance lors des quarts est alors de rigueur quand on croise ou qu’on longe  ces larges corridors. Mais que font donc ces navigateurs solitaires comme Dominique (Québec Yachting, 2010)? Dominique affirme passer en moyenne 18 heures à l’intérieur dont au moins 12 heures à dormir ou somnoler. Jean-Denis disait ne pas prendre de chance. Il se réveillait aux demi-heures pour jeter un coup d’œil. Pourtant, un cargo qui fait 18 nœuds a le temps d’apparaître à l’horizon et de frapper bien avant 30 minutes…

Le radar peut suppléer, mais personne ne l’utilise dans ces circonstances parce qu’il est trop énergivore. Les détecteurs de radar comme le C.A.R.D. ou le Merveille remplissent bien leur rôle, même s’ils sonnent souvent pour rien. Et le dernier né, le A.I.S., qui est maintenant disponible pour les navires de plaisance, est le nec plus ultra. Il vous annonce et vous dit précisément qui vient à votre rencontre. Les quelques utilisateurs que nous avons rencontrés s’en disent très satisfaits. Un  gadget de plus à ajouter sur la liste. Ce qui n’empêchera pas les collisions comme celle de Spout (voir la photo) mais diminuera leur nombre assurément. Bientôt, nous allons continuer à naviguer sur une coque flottante, inventée il y a quelques milliers d’années, poussés par les mêmes vents,  mais fourbie d’instruments de Star Trek.